Bertrand a publié une critique de Pétrole - Le déclin est proche par Matthieu Auzanneau
Le déclin, un impensé
Mathieu Auzanneau connaît bien le sujet, il dirige the Shift Project et à déjà écrit une somme sur le pétrole (Or noir, la grande histoire du pétrole je sais que c'est une somme car je l'ai chez moi et rien que porter l'ouvrage exige un effort). Ici nous sommes plutôt dans l'hyper-light : l'essai se lit en une soirée. Une soirée agréable en plus, car c'est bien écrit et j'y ai appris énormément de choses.
Le livre part d'une histoire proche : en 2000, le concept de pic pétrolier était dans l'air puis les américains ont "inventé" le gaz et le pétrole de schiste et magiquement la question des limites de ressources énergétiques a disparu du débat public. Le shift project a eu accès vers les années 2020 a des données très peu partagées, produites par un des principaux cabinets qui compilent de la donnée relative au stock (données généralement vendues à prix d'or aux acteurs du secteur). En faisant converger pas mal d'informations, il postule que le pic pétrolier a été atteint vers 2021 et que nous faisons désormais face à la fin du pétrole facile à une échéance connue et surtout, proche. Proche, c'est 2030, 2040, 2050 ? dans pas longtemps en tout cas, surtout à l'échelle de notre civilisation qui s'est construite sur une énergie surabondante en 150 à 200 ans.
Et c'est précisément cet aspect du livre qui m'a le plus fasciné : les auteurices envisagent l'histoire et la géopolitique sous le prisme de la disponibilité des ressources ce qui modifie pas mal d'idées préconçues.
Pearl Harbour ? les japonais cherchaient à accéder aux ressources pétrolières du sud asiatique. Les allemands ont perdu la deuxième guerre ? c'était inévitable car ils n'avaient pas suffisamment d'énergie face au bloc de l'ouest. Et je ne parle même pas de la guerre en Irak. Je cite de mémoire "ces guerres ont eu lieu en période de surabondance, que seront-elles lorsque les ressources seront en train de se tarir ?"
Une partie du livre expose les contraintes physiques liées à l'exploitation des ressources fossiles et explique pourquoi les chiffres généralement agités par les majors ou les politiciens, ne sont pas fiables.
Et il rappelle utilement ce qu'on croit savoir par ailleurs : notre civilisation et notre mode de vie reposent sur le pétrole : sans pétrole, pas de médicament, pas de production agricole sans paysan, pas de déplacement de biens sur le globe. Et d'un point de vue géopolitique, pas de domination américaine.
Et puis bien sûr il appuie là où ça fait mal : la fin du pétrole ne signifiera pas la fin de l'extractivisme ou la baisse d'émissions de GES. Le fait que personne ne s'y prépare rend inéluctables des chocs monstrueux à venir.
Bref un livre salutaire avec un côté curieusement enthousiasmant, façon puzzle : une esquisse de la fin d'un monde. Dommage que ce soit la réalité et qu'on soit en plein dedans.