Arsène a cité Joseph par Marie-Hélène Lafon
La patronne levait le sourcil et pinçait le coin de sa bouche, à gauche, toujours du même côté, Joseph remarquait ces choses aussi, à force de voir les gens; on sentait que la patronne n'aimait pas trop que le patron se lance à parler sur les personnes ou sur l'état de l'agriculture, même si on savait que Joseph n'allait nulle part et ne répétez pas. Toujours Joseph avait retenu des histoires des gens et ce qui se racontait, il ne mélangeait pas dans sa tête et il y pensait en s'endormant. Il dormait à fond et se réveillait net, d'un coup, prêt, les idées à l'endroit, aiguisé comme une faux ou affûté comme les lames de la barre de coupe que le patron utilisé encore dans cette ferme pour faucher les pentes ou d'autres endroits qui n'auraient pas supporté la rotative et le gros tracteur, les sagnes par exemple où les mottes de terre tremblent sous le pied et dégorgent de l'eau rouillée même pendant les années sèches; en 2003, au moment de la canicule quand les vieux mouraient dans les villes, en 2003 il avait fauché avec le patron la sagne de Chamizelle sous le bois; ils fauchaient le matin après la traite, la rosée n'était pas levée, elle ne se levait pas dans ce trou sous le bois même en 2003, ensuite ils sortiraient le foin au râteau pour qu'il sèche au soleil, c'était des méthodes dépassées; le patron employait ce mot quand il se lançait dans ses discours sur l'avenir de l'agriculture. Ils ne se parlaient pas pour le travail, ils savaient comment faire et que ça s'arrêterait après eux. Quand ils avaient fini, le trou était propre, impeccable, c'était plaisant à voir. Le bois était pendu sous les hêtres, juste bon pour les renards et les blaireaux qui avaient creusé de sacrés terriers, on respirait la sauvagine à plei nez là-dessous, le patron disait ça, il avait des expressions; ils n'étaient pas chasseurs dans cette famille, ni pêcheurs, même s'ils avaient un grand pré au bord de la Santoire.
— Joseph de Marie-Hélène Lafon (Page 23 - 24)