Clochix a cité En bons pères de famille par Rose Lamy
Selon les bons pères de famille, les hommes qui commettent des violences dans la sphère intime, en coulisse de l'exercice de leur pouvoir, ne devraient être sanctionnés ni publiquement ni socialement afin qu’ils continuent à enrichir le monde de leurs apports et de leurs compétences hors normes. C’est comme si, pour récompense de leurs œuvres, ils recevaient, par une transaction symbolique, l’impunité en matière de violences sexistes et sexuelles, ainsi que l'assurance qu’elles seront disqualifiées (…)
Quand des militantes féministes s’opposent au principe voulant qu'on sépare l’homme de l’Artiste, elles demandent simplement de ne pas oublier les crimes et les délits de l’homme au nom de la qualité des œuvres. C’est logique, cela relève du bon sens, puisque quand on consomme les œuvres de l'artiste, on enrichit l’homme, en capital social et économique, c’est-à-dire en influence et en argent. Celui-ci dispose alors de davantage de moyens pour assumer le coût financier de sa défense et son impunité grandit avec le soutien qu’on lui apporte. (…)
On est en droit de se demander : pourquoi les bons pères de famille tiennent-ils telle- ment à consommer les œuvres d’hommes violents ? Je crois qu’ils aiment surtout avoir la liberté de le faire. Il y a une part de cynisme et d’opportunisme chez les plus puissants d’entre eux, ceux qui disposent des ressources et de l'autorité à agir contre l’avis du plus grand public. Quelle meilleure illustration que la déclaration de Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, dans l’émission C ce soir au sujet de Johnny Depp, qu'il a invité à faire l'ouverture du festival en 2023. Il feint d’abord de ne pas comprendre la polémique soulevée par la présence de l'acteur : « S’il y a quelqu'un au monde qui ne s’est pas du tout intéressé à ce procès qui l’a opposé à son ex-femme, c’est moi. » Affirmer qu'on n’a pas suivi une des plus grandes affaires médiatiques de la décennie quand on invite son principal protagoniste c'est, au choix, de la mauvaise foi ou du mépris. Il concède plus tard: « J'ai suivi comme ça, mais j’m’en fous. » Au moins c’est clair : ils ont Le luxe de « se foutre » d’un procès qui marque jusqu'ici le plus grand revers de la révolution culturelle #MeToo, de douze faits de violences conjugales sur quatorze reconnus par un juge anglais en 2020, ou de ce texto de Johnny Depp évoquant Amber Heard qui, à lui seul, devrait interroger la société dans son ensemble: « Je vais baiser son cadavre brûlé après coup, pour m’assurer qu’elle est morte. » C’est que les œuvres et le bon plaisir des patriarches comptent plus que le respect de l'intégrité physique et psychologique de leur entourage.
Rose Lamy a publié sur Twitter quelques extraits de son essai En bons pères de famille, estimant que l’actualité illustrait parfaitement son propos. nitter.net/preparezbagarre/status/1740669102212190621