Critiques et Commentaires

C'est le second livre que je lis d'Alice Zeniter (après son excellent "L'art de perdre"), et j'y a retrouvé sa qualité d'écriture, ses personnages très développés et aussi son travail de recherche impressionnant. Dans ce livre là, un des deux personnage principaux est L, une hackeuse très douée mais également assez peu sociable. On voit en lisant le livre que l'autrice a vraiment fait un travail de recherche impressionnant, tous les termes techniques et de communauté sont réels, avec des anecdotes sur beaucoup de personnes importantes du milieu. Malheureusement, même en faisant ce travail, il est difficile de coller avec le ton et la façon de parler, et personnellement j'ai trouvé ce personnage surjoué, utilisant un vocabulaire stéréotypé que personne ne dit. Par exemple, L parle d'être au dedans (sur un ordinateur dans Internet) et au dehors (dans le meatspace), ou encore de madzskills. Sans avoir la prétention de connaître tout le milieu hacker, ça a sonné faux pour moi pendant tout le livre, et j'ai eu du mal à accrocher à cause de ça. Le second point décevant à mon sens, c'est le scénario. Si l'autrice a pris le temps de développer les personnage et parler d'eux et de leur rapport au militantisme, il faut quand même dire qu'il ne se passe pas grand chose dans ce livre. Je suis arrivé à la fin avec le sentiment d'un dénouement sans aventure avant, avec des fils ouverts mais jamais tirés. Malgré tout, j'ai aimé le fait que c'est un livre qui parle d'engagement, en discutant finement des contradictions que l'on peut avoir. On voit que l'autrice a une bonne connaissance de ces questions, et personnellement, j'aimerais beaucoup la croiser autour d'un verre dans un évènement militant.

Je pensais trouver dans "Handicap à vendre" un livre documenté sur la situation des ESAT et les questions de validisme dans la société. C'est raté. Dans ce livre, Thibault Petit livre plus une description de ses rencontres avec des personnes travaillant en ESAT ou des gérants d'ESAT lors de ses enquêtes qu'une analyse politique de ceux-ci. Ces témoignages sont intéressants, ils montrent bien les maltraitances en ESAT, la situation de beaucoup de personnes handicapées et les formes très différentes que peut prendre le handicap, mais aussi le point de vue de dirigeants d'ESAT, persuadés de bien faire tout en étant bien capitalistes. Malgré cela, l'écriture est poussive et devient stéréotypée, et il manque vraiment du travail de fond pour amener une compréhension plus globale du problème. Des choses simples comme les problèmes de rémunération ne sont pas expliqués clairement, et il manque vraiment du contexte sur les changements de loi. Et enfin, si ces témoignages sont utiles et intéressants, pourquoi ne pas faire un livre de témoignage, ce qui éviterait de mettre le rôle de Thibault Petit au centre de ces questions. Dommage parce que j'attendais beaucoup de ce livre.

J'ai passé un bon moment à lire le problème des trois corps. C'est bien écrit, avec une structure narrative intéressante qui fait qu'on rentre facilement dans l'histoire. J'ai beaucoup apprécié de lire un livre chinois, dans un contexte et une histoire qui change du tout-étatunien de la science fiction, que je connais mal et que j'ai trouvé vraiment intéressant. Le côté science-fiction "dure" est aussi plaisant, on comprends dès le départ qu'il est féru de physique et qu'on va se plonger dans des questions théoriques, et ça fait du bien. Maintenant venons aux aspects négatifs : déjà il faut bien le dire, si j'ai trouvé que c'était un bon livre, je ne comprends pas sa réputation internationale, il y a plusieurs points (comme la société des tri***) que je trouve assez bancals et pas très crédibles. Si le sujet est amené de manière originale et prenante, on en arrive au final à un scénario assez classique dans la science fiction et que j'ai trouvé un peu décevant. Enfin, le côté physique prenant du début finit par être pesant dans les derniers chapitres (comme avec les protons à 11 dimensions qui m'ont clairement perdus). Évidemment, je vais lire les deux livres suivants pour me faire une idée de la trilogie et peut-être que je me rangerais à l'avis dithyrambique de pas mal de mondes. Mais en attendant, ça m'a pas fait tomber de ma chaise. (Il faut sans doute également noter que l'auteur a apparemment apporté son soutien à la politique chinoise au Xinjiang d'après le New Yorker)

Symphonie atomique est un livre de SF plutôt de type aventure et post-apocalyptique (ou presque) écrit par Etienne Cunge, qui revendique d'utiliser la SF pour parler d'écologie. Le pitch de départ c'est que la crise écologique provoque un effondrement de la société qui voir 4 grandes puissances nucléaires (les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Europe fédérale) en compétition constante. Au milieu de tout cela, on suit plusieurs personnes impliquées dans des actions de politiques internationales qui menacent l'avenir du monder. Alors autant le dire tout de suite : je n'ai pas été convaincu par ce livre. Dans le positif, on rentre assez bien dans la partie aventure et le scénario se tient. Tout le livre décrit des altercations entre différentes puissances du point de vu d'acteurs perdu dans ce jeu, mais on voit petit à petit émerger les intrigues et le dénouement est pas mal. Par contre, j'ai trouvé l'écriture vraiment poussive, avec des personnages qui digressent permanence sur le même sujet de leur vie (leur situation ou l'écologie) de façon la plupart du temps assez creuse (j'ai finit par sauter ces parties pour avoir le dénouement). Et enfin, je ne vois pas du tout ce que ce livre amène sur la question écologique. La description du monde est assez réaliste et cela décrit bien des scénarios possibles, mais je ne vois pas ce que veux en faire l'auteur. Si il s'agit d'aider une prise de conscience alors je pense qu'il faut faire plus concret et intéressant que les régulières digression des personnages sur l'état du monde.

Laurent Joly, historien spécialisé sur le régime de Vichy, revient dans ce livre sur les propos négationnistes d'Éric Zemmour sur le régime de Vichy. Le propos central du livre consiste à replacer ces propos dans un contexte historique de l'extrême droite française. La scission centrale entre la droite gaulliste (dont se réclame Zemmour) et l'extrême droite remonte à la seconde guerre mondiale , où l'une était dans la résistance et l'autre collaborait à Vichy. Pour Zemmour, réconcilier et réunir ces deux droites passe par un rétablissement du régime de Vichy, il reprend pour cela les propos d'une longue liste de pseudo-historiens d'extrême droite, voir même de Pétain lui même expliquant que le régime de Vichy avait en réalité protégé les juifs, Pétain étant "le bouclier" là ou De Gaule était "l'épée". Laurent Joly démontre avec force de références que des recherches historiques ont largement montré la collaboration de Vichy, sous de nombreux aspects, et que Zemmour reprend des faits qui n'ont aucune vérité historique. Si cette lignée historique des propos de Zemmour est intéressante, une article aurait sans doute suffit à l'expliquer, on peut se demander si la publication de ce livre n'a pas surtout eu pour but de pouvoir passer sur les plateaux télé afin d'amener un point de vue critique aux propos de Zemmour, en général proférés sans contradictions dans les médias.

"Manuel d'action politique" de Michael Walzer est un livre intéressant mais qui offre des perspectives limitées sur ce qu'est l'action politique. Intéressant tout d'abord parce que les livres pratiques d'action politiques sont rares (on peut tout de même citer Rules for Radicals ou Beautiful Trouble) et sont toujours passionnants parce qu'on y discute le comment plutôt que le pourquoi. Michael Wazler a été beaucoup impliqué dans le mouvement états-unien contre la guerre au Vietnam, contexte dans lequel ce livre a été écrit et donne des avis extrêmement pratiques sur comment construire un mouvement populaire massif pour changer une décision politique. Le livre couvre par exemple des sujets comme définir les enjeux, se trouver une base sociale, faire des coalitions, les modèles d'organisations politiques ou encore la place des leaders ou des femmes dans un mouvement. Si on peut regretter certains sujets manquant en 2022, comme par exemple le sexisme dans les mouvements politiques ou éviter les leaders toxiques, Michael Wazler sait faire de la politique et nous explique comment la faire pour les jeunes générations. Et c'est là que le bât blesse, sans jamais l'expliciter, voire même en critiquant les autres visions comme sectaires tout au long du livre, Michael Wazler occulte totalement le fait qu'il nous propose ici une seule vision restrictive de l'action politique : créer des mouvements de masse pour pousser des politiques élus à changer la politique du gouvernement. Si cette stratégie peut-être la seule stratégie possible, notamment pour lutter contre une guerre illégitime faite par son pays, il s'agit dans bien des cas d'une stratégie parmi d'autres, notamment des stratégies d'autodéfense ou des actions directes de changement). Si l'on regarde des mouvements comme le MLF, Act-Up, le mouvement des squats ou encore des ZADs, ils ont tous fait de l'action politique sans passer par une stratégie électoraliste. En dénigrant ces autres modes d'actions, il résume la politique à une politique électorale, ce qui est un discours contre-radical extrêmement classique ("si vous n'allez pas voter, vous ne pourrez pas vous plaindre" etc.). J'espère donc que les nouvelles générations (à qui ce livre est destiné) prendront ce livre pour ce qu'il est, un manuel d'une forme d'action politique parmi des formes d'actions beaucoup plus vastes.